La grande fatigue électorale

Jean-Simon Gagné
Le Soleil

(Québec) Notre système électoral est désuet. Il provient d'une époque où le train, la télévision, l'ordinateur et même la poutine Michigan n'avaient pas été inventés. Il a été conçu dans un monde où il fallait prévoir plusieurs jours pour franchir la distance entre Québec et Montréal. Sans compter que le résultat des élections mettait parfois des semaines avant d'être connu avec certitude.

Notre système électoral date d'un autre âge. Pourtant, l'idée d'une vaste réforme électorale soulève autant d'enthousiasme que la perspective de gravir le mont Everest, chaussé d'une paire de souliers vernis deux pointures trop petites.

Sûr que vous provoquerez moins d'exaspération en parlant de modifier la Constitution. Et que vous n'auriez pas l'air beaucoup plus délirant en proposant d'inoculer la varicelle à la moitié de la population.

Notre système électoral est injuste. Périodiquement, il déraille au point de déformer les résultats.

En 1966, l'Union nationale a formé le gouvernement en recueillant 40,8 % des voix, contre 47,2 % pour le Parti libéral. En 1998, le Parti québécois a été reporté au pouvoir, même si les libéraux avaient obtenu plus de suffrages.

Vous en voulez d'autres? En 1973, avec l'appui de 30 % des électeurs, le PQ n'a récolté que six députés. En 2003, avec 18 % des suffrages, l'Action démocratique n'a obtenu que quatre députés.

On a fini par oublier, en se répétant qu'il n'y a pas de problème que l'inaction ne finisse par résoudre.

Notre système électoral a été si souvent replâtré qu'il apparaît difficile d'y toucher sans que le plafond nous tombe sur la tête.

Depuis quelques années, il devient impossible de remodeler la carte électorale sans dépouiller des régions comme la Gaspésie de ce qui leur reste de pouvoir politique. Résultat : la circonscription de Chambly rassemble 79 000 électeurs. Celle de Gaspé : 33 320. C'est dire qu'il faut 2,5 électeurs de la Rive-Sud de Montréal pour égaler un électeur de la pointe de la Gaspésie.

En tout, une vingtaine de circonscriptions ne respectent plus la Loi électorale, en ce qui concerne le nombre d'électeurs. Il y a quelques jours, le directeur général des élections du Québec, Marcel Blanchet, a évoqué une carte électorale «inéquitable et désuète».

Je précise : pas un disciple de l'amour de la Grande pastèque universelle. Le directeur général des élections.

Notre système électoral a été fabriqué sur mesure pour que deux partis s'échangent le pouvoir. Comme des alcoolos qui se passent la même bouteille. Dès qu'une troisième formation politique se présente, les choses tournent au vinaigre.

Si les derniers sondages disent vrai, compte tenu de la faible participation, Jean Charest pourrait être réélu, à la tête d'un gouvernement majoritaire, avec l'appui de 27 % de la population.

Et Pauline Marois deviendrait chef de l'opposition officielle avec celui de 21 % de la population.

Au début de la campagne, l'Association pour la revendication des droits démocratiques, qui regroupe des gens comme Jean Allaire ou Claude Béland, a même accusé le premier ministre Charest d'avoir déclenché des élections «pour profiter des défauts du système actuel».

Notre système électoral décourage la participation électorale. Mais nous préférons généralement blâmer l'individualisme ou la présence de chefs politiques aussi charismatiques qu'une collection de tables à pique-nique.

N'importe quoi pour continuer à croire que notre système électoral constitue le «moins pire». N'importe quoi pour éviter de regarder en direction d'États qui ont opté pour d'autres avenues. Sans pour autant se transformer en républiques bananières.

Encore une fois, en supposant que les sondages disent vrai, près de la moitié des électeurs ne voteraient ni pour le Parti libéral ni pour le Parti québécois, ni pour l'Action démocratique. Environ 38 % de ces gens s'abstiendraient de voter, tandis que 9 % donneraient leur suffrage à des tiers partis.

Ça commence à faire beaucoup de gens «fatigués électoralement», vous ne trouvez pas?

http://www.cyberpresse.ca/le-soleil/opinions/chroniqueurs/200811/20/01-802834-la-grande-fatigue-electorale.php